Le microbiote

Plantes, animaux, humains, nous sommes tous des organismes hôtes hébergeant une communauté de bactéries, de virus, d’archées et autres champignons microscopiques. Ces microorganismes avec qui nous vivons étroitement préexistaient bien avant nous et ont su trouver en nous des niches favorables à leur survie, comme l’intestin ou la peau. L’intérêt pour ces micro-organismes, aussi appelé plus communément aujourd’hui le microbiote, est grandissant dans la communauté neuroscientifique. Laissé de côté pendant longtemps, on sait aujourd’hui que le microbiote peut directement influencer le fonctionnement de notre cerveau.

 

Le concept d’holobionte

Les échanges symbiotiques permanents qui se sont développés entre les microorganismes et leurs hôtes sont si étroits que l’ensemble est nommé holobionte. Du grec holos, « tout » et bios, « vie », un holobionte correspond à une entité vivante naturelle composée par un organisme pluricellulaire appelé hôte (animal ou végétal) et son microbiote, autrement dit l’ensemble des micro-organismes qu’il héberge.

Mais pourquoi des logiques de vie si différentes finissent-elles par s’unir ? Rappelons qu’en biologie, on parle d’« émergence » pour décrire une entité regroupant divers composants où l’on voit apparaître en son sein des propriétés qui ne figurent dans aucun des composants initiaux. Cette notion d’holobionte est donc associée à l’idée de synergie qui évoque que le résultat d’une action collective est supérieur à la somme des actions des individus. Voici donc donnée la vision moderne de l’humain : un organisme vivant colonisé par des microorganismes afin de « former un tout plus grand que la somme de ses parties » (pour paraphraser Aristote).

Aujourd’hui, ce concept d’holobionte nourrit des recherches scientifiques couvrant un très large spectre incluant des travaux sur des écosystèmes environnementaux, végétaux ou animaux, jusqu’à la santé humaine. En effet, les preuves scientifiques qui s’accumulent massivement tendent à montrer que l’humain n’échappe pas à cette règle et qu’en tant qu’holobionte, son microbiote intestinal, nasal, vaginal ou cutané, exerce des fonctions essentielles chez tous les individus en bonne santé.

 

 

Un dialogue entre l’intestin et le cerveau

C’est à la lumière de ce nouveau concept biologique que l’intestin doit être appréhendé en tant qu’organe colonisé par une population de cent mille milliards de bactéries que l’on appelle « microbiote », et innervé par près de 500 millions de neurones (des cellules nerveuses) qui, connectés entre eux, émettent des signaux qui permettent à l’intestin de se contracter afin d’assurer le flux des aliments. Mais ces neurones n’agissent pas uniquement localement, ils modifient également le fonctionnement cérébral par des voies que les chercheurs commencent à peine à identifier. Il existe donc un vrai dialogue entre cerveau et intestin, et les échanges nombreux entre ces deux organes s’effectuent dans les deux sens.

De plus en plus, les chercheurs se rendent compte que certaines maladies neurologiques, psychiatriques ou encore métaboliques, pourraient en partie prendre source dans l’intestin et seraient la conséquence d’un déséquilibre du microbiote intestinal devenu incapable de délivrer les bons messagers au cerveau. Dans ce cas, il serait envisageable de prévoir des traitements à destination de l’intestin (prébiotiques, probiotiques, ou même antibiotiques) qui permettraient de prévenir ou de soigner des dysfonctionnements cérébraux qui conduisent à certaines maladies psychiatriques (telle que la schizophrénie ou la dépression) ou neurologiques (comme la maladie de Parkinson par exemple).

L’existence d’un lien fonctionnel entre le cerveau et nos microbes symbiotiques, ou axe cerveau-microbiote, était déjà suspecté dans le cadre de pathologies inflammatoires comme la sclérose en plaques. Alors que l’impact du cerveau sur l’intestin et ses fonctions digestives est bien connu, l’impact du microbiote sur le cerveau est un champ d’investigation qui connaît un nouvel essor grâce aux techniques modernes de manipulation du microbiote et d’analyse des molécules impliquées dans ce dialogue. Il en ressort que le microbiote influence l’émergence de pathologies psychiatriques, comme les troubles de l’humeur, la dépression ou l’autisme.

 

 

Un lien démontré entre altération du microbiote intestinal et dépression

Il n’y aurait donc pas d’esprit sain sans un microbiote sain ? Pour montrer que la population bactérienne de l’intestin joue un rôle vital pour notre organisme, l’équipe du Pr. Pierre-Marie Lledo a conduit une étude, en 2020, pour démontrer que la population bactérienne de l’intestin présente un profil bien particulier chez des souris utilisées comme modèle de dépression. Lorsque cette population bactérienne est transférée à des souris saines, ces dernières présentent des comportements spécifiques de la dépression quelques jours après le transfert. En cherchant quel pouvait être le mécanisme impliqué, les chercheurs ont découvert que la communauté bactérienne des souris « anxieuses » produit très peu de précurseurs nécessaires à la synthèse de sérotonine, rendant ainsi inefficace une famille d’antidépresseurs comme la fluoxetine (Siopi et coll., Cell Reports, 2020). S’il est certain que le déséquilibre de la population bactérienne de l’intestin est à l’origine de divers troubles neurologiques ou psychiatriques, les mécanismes sous-jacents restent mal connus et des recherches supplémentaires seront nécessaires pour décrypter les signaux échangés entre le microbiote et le cerveau.

 

Quels sont les mécanismes d’interactions entre le microbiote et le cerveau ?

C’est à l’aune de cette révolution en Biologie que l’on peut comprendre certaines données épidémiologiques révélant la forte comorbidité entre les maladies gastro-intestinales chroniques et certains symptômes psychiatriques. Si les corrélations à partir de données statistiques sont fortes, les liens causaux et plus précisément les mécanismes d’interactions entre microbiote et cerveau sont mal connus à ce jour. Des composés bactériens issus de la lumière intestinale, et qui accèdent à la circulation sanguine, pourraient agir directement sur la physiologie de l’hôte comme l’équipe du Pr. Lledo l’a montré en découvrant comment une modification du microbiote intestinal engendrée par un stress chronique pouvait être à l’origine d’un état dépressif chez la souris, notamment en provoquant un effondrement de métabolites lipidiques dans le sang et le cerveau. Or, la baisse en métabolites lipidiques se traduit par un profond défaut de fonctionnement d’un système de communication chimique dérivé de ces métabolites lipidiques : les cannabinoïdes endogènes ou endocannabinoïdes. Ces molécules se lient sur des récepteurs, qui sont également la principale cible du THC, le composant actif le plus connu du cannabis, d’où leur nom. En somme, l’alchimie du bien être si particulière dans notre cerveau, dépend, au moins en partie, d’une production de signaux d’endocannabinoïde issus de notre microbiote intestinal (Chevalier, Nature Comm., 2020).

 

Encore de nombreuses questions en suspens…

Enfin, pour être complet, il faut rappeler que des microbes, sans infecter le cerveau, peuvent indirectement influencer son fonctionnement via l’activité du système immunitaire ou du système endocrinien (par le biais des hormones), en plus de la circulation de produits dérivés de l’activité microbienne. L’ensemble de ces interactions est complexe et peu connu. Il y a donc nécessité, et urgence, pour la communauté scientifique de lancer des recherches approfondies sur l’origine indirecte de troubles mentaux et neurologiques à la lumière d’un cerveau interagissant avec le microbiote, le système immunitaire et endocrinien. Quel est l’impact du microbiote sur le développement du cerveau ? Comment des micro-organismes – en sécrétant des molécules ou par d’autres mécanismes – peuvent-ils affecter les fonctions cérébrales à plus ou moins long terme ? Quel est le lien entre microbiote, le génome de l’hôte et les maladies mentales ?

 

Voilà nommés quelques nouveaux défis que devront relever les chercheurs en Neurosciences, en optant pour une approche résolument transversale qui consiste à appréhender le cerveau, non plus comme un organe isolé dans sa boite crânienne, mais plutôt échangeant sans cesse des informations avec les autres systèmes de l’organisme. Selon ce point de vue, certaines pathologies mentales résulteraient d’un défaut de communications nécessaires à la constitution de cet holobionte un peu particulier qu’est l’Humain !

 

 

 

Rédaction : Prof. Pierre-Marie LLEDO, Neurobiologiste, Institut Pasteur et CNRS, Paris

 

 

Photographie :  © Unsplash – Bacteria

Voici donc donnée la vision moderne de l’humain : un organisme vivant colonisé par des microorganismes afin de « former un tout plus grand que la somme de ses parties ».

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