Les souvenirs

La mémoire épisodique est celle de nos souvenirs (heureux et malheureux) et celle qui nous permet de nous projeter dans le futur (imaginer le prochain voyage). Elle rassemble tous les détails : le contexte de nos expériences vécues et les émotions associées (souvenirs d’un voyage, d’un évènement heureux …).

Comment fonctionne cette mémoire ? Pourquoi parfois oublie-t-on et parfois non ?

 

La mémoire épisodique aux commandes

Cette mémoire épisodique se constitue dès notre plus jeune âge et implique plusieurs structures cérébrales :

  • l’hippocampe (structure profonde, située au cœur de notre cerveau),
  • l’amygdale (en avant de l’hippocampe),
  • le néocortex (couche externe de notre cerveau) ,
  • le lobe préfrontal (partie antérieure de notre cerveau),

L’hippocampe est un peu comme le chef d’orchestre de ce réseau. Il participe à la mémorisation durable des faits et des événements depuis la mémoire à court terme vers la mémoire à long terme. C’est donc une zone carrefour où les informations transitent avant d’être dirigées vers les zones corticales où elles seront stockées.

Alors comment se souvient-on ? Prenons l’exemple de la photo de famille. Celle-ci réactive le souvenir de cette réunion familiale au niveau de l’hippocampe qui va lui-même solliciter les zones qui étaient activées lors de cet évènement et qui ont aidé au moment de la mémorisation. Toutes les zones impliquées se réactivent et le souvenir remonte à la conscience.

L’hippocampe est donc au cœur de nos souvenirs, ce qui expliquerait la perte de souvenirs associée à la maladie d’Alzheimer. En effet, c’est au niveau de l’hippocampe que démarre la dégénérescence des neurones observée dans la maladie.

Photographie : Les structures corticales sollicitées lors d’un souvenir – Science et Vie

 

Pourquoi ne se souvient-on pas de nos souvenirs précoces ?

Notre cerveau commence son développement dès la troisième semaine de gestation et jusqu’à l’âge de 25 ans. Toutes les régions cérébrales ne se développent donc pas au même rythme ou au même moment. C’est le cas de l’hippocampe, dont le volume augmente jusqu’à l’âge de deux ans. À l’intérieur, ses circuits corticaux continuent à se mettre en place, à « maturer ». La mise en place des circuits les plus complexes ne finit que vers l’âge de 6 ans. Cela explique pourquoi nous avons très peu de souvenirs précoces stockés.

Aujourd’hui, les chercheurs doivent encore comprendre le comment ? Quels mécanismes expliquent précisément cette amnésie ?

 

Comment l’émotion et le souvenir s’entremêlent ?

Avez-vous déjà remarqué que vous vous rappelez plus facilement des souvenirs chargés en émotions ? La « madeleine de Proust » est l’exemple parfait. L’auteur se souvient avec détails des émotions et sensations ressenties. La réminiscence de ce souvenir est rendue possible grâce à des similarités avec la situation présente (odeur, un son, …). Cette similarité « réactive » des traces mnésiques (formes, couleurs, sons, odeurs, …) stockées en mémoire.

Dans le cas de Proust, l’odeur qu’il a sentie, au moment présent, a « réactivé » la mémoire sensorielle qui elle-même a sollicité la mémoire épisodique. La mémoire épisodique a alors retrouvé un souvenir fort, chargé d’émotions, partageant une odeur similaire à celle qu’il sentait au moment présent.

En réalité, « plus l’émotion suscitée par l’odeur est importante, qu’elle soit plaisante ou déplaisante, plus le souvenir est précis1 » déclarent les chercheurs du centre de recherche de Lyon.

Les odeurs « ne génèrent pas plus de souvenirs qu’une image ou un son, mais ces souvenirs sont souvent plus riches en émotion et peuvent être très anciens. Ils peuvent remonter à la petite enfance, alors que d’autres stimuli ne permettent fréquemment de remonter qu’à des souvenirs datant de l’adolescence. [Les souvenirs associés aux odeurs] resurgissent tout à coup de façon très fidèle, en nous faisant voyager dans le temps. À l’inverse, un souvenir associé à un paysage ou une musique est plus fréquemment raconté, décrit et subit alors des distorsions qui lui font perdre de son intensité ».

 

Souvenir stressants  

Malheureusement, les souvenirs peuvent être parfois traumatisants, car associés à un évènement marquant, et générer des troubles du stress post-traumatiques (TSPT). L’évènement vécu, qu’on soit victime ou témoin, est ressenti comme un stress intense face auquel les personnes se sont senties impuissantes.

Le concept de TSPT a été cliniquement défini en 1980, suite aux ravages de la guerre du Viêtnam, mais ces troubles sont décrits, chez les soldats, depuis l’Antiquité.

Le souvenir traumatique ne suit pas le processus de mise en mémoire habituelle. L’intensité de l’évènement provoque une hypermnésie émotionnelle (chargée en détails) et gêne alors la mise en mémoire épisodique. Parfois, elle peut conduire à une amnésie partielle sur le déroulé de l’évènement. A postériori, l’individu est incapable de mettre l’événement à distance et les émotions ressenties à ce moment ressurgissent avec une puissance similaire à l’événement initial.

Au niveau biologique, on sait que les mécanismes impliqués sont dus à une perturbation de l’axe hypothalamo–hypophyso-surrénalien qui entraîne une libération accrue de cortisol, hormone liée au stress. Les études d’imagerie ont permis aussi d’identifier des altérations de l’activité et de la connectivité de certains circuits neuronaux, par exemple ceux associés à la détection de la peur ou des menaces2 .

La persistance du souvenir traumatique serait quant à lui lié à un dysfonctionnement des mécanismes préfrontaux régulant l’activité des régions liés aux souvenirs, comme l’hippocampe. Ce qui empêche la suppression du souvenir et l’oubli.

Dans l’optique de mieux comprendre pourquoi certains individus oublient et d’autres développent un TSPT, alors qu’ils ont vécu un même évènement, le programme Remember autour des attentats du 13 novembre 2015 a été développé3.

 

Une protéine en jeu ?

Depuis 2004, et les travaux d’une équipe de New-York4, on sait qu’il serait possible d’effacer un traumatisme induit. Cela soutient l‘idée que les souvenirs émotionnels pourraient être modifiés. Cela permettrait d’entrevoir des traitements pour les personnes souffrant de TPST.

En 2021, une équipe de l’Université de Cambridge, lors de la réunion annuelle du Collège Européen de Neuropsychopharmacologie (ECNP)5, a présenté des travaux autour de la protéine SHANK6. Celle-ci pourrait agir comme marqueur cérébral indiquant la possibilité de modifier, voire effacer, les souvenirs émotionnels perturbants. À ce stade, les chercheurs ignorent si la protéine SHANK est impliquée dans le maintien ou la dégradation du souvenir, mais elle ouvre la voie à une meilleure compréhension du fonctionnement de la biochimie de la mémoire.

 

Sources :

– The conversation – « Où s’en vont nos souvenirs d’enfance ? » (2021)

1 « Les odeurs émotionnelles créent des souvenirs forts » – Dossier Inserm (2014)
2 « Troubles du stress post-traumatique – Quand un souvenir stressant altère les mécanismes de mémorisation » – Dossier Inserm (2020, modifié en 2021)
3 « Stress post-traumatique : Nouvelles pistes pur comprendre la résilience au trauma » – Dossier Inserm (2020)
Debiec & LeDoux (2004), Disruption of reconsolidation but not consolidation of auditory fear conditioning by noradrenergic blockade in the amygdala

5 Scientists find protein which indicates whether memories can be changed, 34th ECNP (European College of Neuropsychopharmacology) Annual conference 2-Oct-2021
6 Ressler et al. (2021), Covert capture and attenuation of a hippocampus-dependent fear memory, Nature Neurosciences

 

 

Rédaction : Charlotte PIAU, chargée des actions scientifiques de la FRC.

 

 

Photographie :  © Unsplash

 

 

 

« Plus une odeur suscite d’émotion, plus le contexte dans lequel elle a été respirée est bien mémorisé. »

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (Unité 1028 Inserm/CNRS)

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